Enfants, écrans…Catastrophe ou Fausse panique ? Que peut faire un professeur face à cela ?

L’émission Zone interdite de M6, du dimanche 24 septembre, s’est intéressée aux enfants et aux écrans. Le message était alarmiste, catastrophique (le lexique utilisé était édifiant !), et un peu biaisé. Le premier réflexe face à une telle émission devrait être celui de l’ami critique et si on en a le temps, celui de la vérification. Il est ainsi mentionné le chiffre « qui tue » : les enfants de moins de 2 ans passeraient plus de trois heures par jour devant les écrans, sondage à l’appui. Voulant en savoir plus, je n’ai pas pu trouver le dit sondage ! Mais on en trouve d’autres qui disent des choses un peu différentes. Parce qu’un sondage, selon par qui et comment il est fait, est un outil qui peut s’orienter. Interroger des parents sur l’usage des écrans de leurs enfants après un confinement, après une période de vacances scolaires n’aura évidemment pas le même impact qu’à un autre moment ! D’ailleurs, ipsos propose des sondages et études qui montrent, à la même période, que les jeunes lisent toujours autant 1 ! En poursuivant les recherches, force est de constater que des tas de chiffres se croisent, alarmistes2 ou raisonnables, à des périodes différentes3 face à une problématique qui a plus de dix ans. Il y a ainsi des publications de Santé Publique France, l’étude sur l’usage des écrans pendant le confinement, le suivi de la cohorte Elfe, etc.

Le reportage mettait aussi en avant le Dr Ducanda présentant des situations d’enfants qu’elle sauvait de troubles importants en quelques mois de privation d’écrans. Cela m’a semblé très caricatural, autour d’une femme qui est très controversée dans sa profession (elle parlait un temps « d’autisme virtuel » causé par les écrans !4).

Passons donc sur ce reportage alarmiste, on pourrait d’ailleurs se poser la question de l’objectif cherché…L’ouvrage « Les enfants et les écrans »5 de Anne Cordier et Séverine Erhel constate d’ailleurs que les médias optent systématiquement pour un ton alarmiste et négatif sur le thème des écrans. L’image qui illustre cet article fait ainsi écho à ce qu’on voit souvent 😉

(Si on s’intéresse au sujet, c’est d’ailleurs un ouvrage à lire !)

Cette émission a ainsi provoqué beaucoup de réactions sur les réseaux et très vite est apparu le clivage des extrêmes, entre les alarmistes et ceux pour qui il n’y aurait pas de sujet !

En discutant avec des enseignants, des parents, on constate qu’ils sont réceptifs à ces messages. Pourquoi ? Parce qu’ils constatent, empiriquement, une évolution dans le comportement des enfants depuis plusieurs années : une proportion de plus en plus grande d’enfants présentant des difficultés d’attention, des comportements décalés, voire violents. Ils ont le sentiment qu’il y a de plus en plus d’élèves « tdah » ou présentant divers troubles. Et n’importe quel professeur qui demande à ses élèves (dès le CP), leurs usages des écrans, risque d’être surpris (effrayé ?) : usage des réseaux sociaux avant 10 ans, jeux vidéos violents, vidéos…souvent sans aucun filtre ou contrôle parental…Et il ne faut pas trainer longtemps sur les réseaux pour trouver des chaines YouTube tenus par des gamins d’une dizaine d’années, des comptes tiktok d’enfants se mettant en scène, etc. Et l’actualité nous montre le rôle de tout cela dans les affaires de cyberharcèlement, et ce à tous les âges (j’ai eu à gérer du cyberharcèlement entre enfants de CE1 sur les réseaux) ! Il est alors tentant de faire un lien de causalité entre tout ça…Alors que c’est probablement multifactoriel et très complexe.

En tentant de prendre du recul, sans parti pris, on peut voir que la réalité est plus nuancée. Si on essaie d’avoir un avis sourcé sur la question des écrans, on se rend compte que les choses sont finalement assez modérées, comme en témoinge la récente étude publiée dans la revue Journal of Child Psychology and Psychiatry6 qui a suivi 14 000 enfants en France, de 2 à 5 ans et demi. Les parents ont dû rapporter le temps des enfants passé devant l’écran, la télévision allumée ou non pendant les repas, etc. Cette étude est intéressante et offre un premier constat : les effets entre l’exposition aux écrans et le développement des enfants de cet âge sont limités. J. Bernard qui a dirigé l’étude dit aussi : « Le fait qu’un enfant passe du temps devant la télévision ne va pas créer de retards majeurs chez lui, sauf cas extrêmes ». L’étude estime que l’effet délétère des écrans serait globalement modeste. Par contre, elle met le doigt sur les autres habitudes familiales : si on prend deux enfants qui passent autant de temps sur les écrans, celui qui lit régulièrement aura un meilleur développement que l’autre. Les familles qui mangent devant la télévision ont moins d’interaction avec l’enfant et il y a donc un impact sur le développement du langage. L’étude conclut  : « Notre étude a révélé de faibles associations entre l’utilisation d’un écran et la cognition après avoir contrôlé les facteurs sociodémographiques et de naissance des enfants ainsi que les facteurs confondants liés au mode de vie, et suggère que le contexte de l’utilisation de l’écran est important, et pas seulement le temps passé devant un écran, dans le développement cognitif des enfants. »(traduction de l’anglais)

Et inversement, si on veut se faire l’avocat du diable, on peut trouver une étude japonaise importante (plusieurs dizaines de milliers de familles) qui conclut7 :

« Chez les garçons, un temps d’écran plus long à 1 an était significativement associé aux troubles du spectre autistique à 3 ans. Avec l’augmentation rapide de l’utilisation des appareils, il est nécessaire d’examiner les effets du temps passé devant un écran sur la santé des nourrissons et de contrôler le temps excessif passé devant un écran. »(traduction de l’anglais) 

Je provoque un peu là…c’est la conclusion d’une étude dont les auteurs citent eux-mêmes les limites en amont, car il subsiste un doute sur la causalité, car on sait que les enfants souffrant de TSA ont un intérêt particulier pour les écrans. …Comme quoi, n’importe qui pourra toujours trouver une recherche qui ira dans son sens (histoire de biais 😉).

Alors, que dire, que faire quand on est enseignant, cadre de l’Éducation nationale, face aux constats empiriques et à des retours de chercheurs qui peuvent sembler contradictoires (hors contextes) ? Personnellement, et cela n’engage que moi, je pense qu’il est nécessaire de faire une information sur l’usage des écrans auprès des parents, avec l’aide de personnels de santé si possible. Ne pas juger, ni condamner les parents. Pas de culpabilisation, ni infantilisation. Faire une information raisonnée, non alarmiste, mais explicative, responsabilisante, sur les points suivants :

– Limiter le temps : les recommandations sur le temps d’écran sont importantes. Il est conseillé une absence totale d’écrans avant 3 ans et des propositions de temps pour les différents âges ensuite. Les excès auront des conséquences. (PS : Ce serait aussi bien que certaines garderies scolaires, centres aérés bannissent les télévisions !).

– Choisir ce que fait l’enfant. Contrôler. Il est plus facile de contrôler la durée sur un épisode de dessin animé adapté que sur un jeu addictif (abrutissant ?). Se méfier des réseaux sociaux et les éviter autant que possible avant 13 ans.

– Choisir quand et comment : le contexte d’utilisation est important chez les jeunes enfants : discuter avec l’enfant de ce qu’il voit, et ne pas faire de l’écran une nounou virtuelle. Il est ainsi nécessaire d’éviter l’écran pendant les repas, pour les problèmes de langage que cela peut poser et, par la suite, pour les mauvaises habitudes que cela peut donner (on mange quantitativement plus devant un écran).

– Offrir à l’enfant d’autres activités : lire, sortir (bouger, faire du sport !), créer (développer la créativité ne demande pas tant de matériel que ça !), visiter, etc.

On pourrait aussi parler du sommeil, et d’autres choses encore…

On n’est pas seul face à cela. Il existe de très bonnes ressources comme par exemple  :

– Le CLEMI : https://www.clemi.fr/fr/famille.html

– Le site « le bon usage des écrans » géré par des professionnels de santé, dont Serge Tisseron : https://lebonusagedesecrans.fr/

Et il n’est pas difficile d’en trouver d’autres pour tous les âges…

En conclusion, il me semble évident qu’on n’a pas fini d’en parler. La société aime les sujets clivants ! Soyons professionnels, élevons nous au-dessus de tout cela et faisons ce que nous avons à faire. C’est un travail au long cours qui mérite qu’on s’y attèle en partenariat avec les familles et les professionnels de santé.

Quelques heures après la parution de cet article, je vois qu’une émission d ‘arrêts sur images traite cette polémique avec Anne Cordier comme invitée ! Allez donc voir : Enfants et écrans : « Un fait clinique n’est pas un fait scientifique » – Par La rédaction | Arrêt sur images (arretsurimages.net)

Références :

1 – Sondage Ipsos – Mars 2022 – 10e édition de Junior Connect’, étude de référence sur la fréquentation médias et les comportements de consommation des jeunes de moins de 20 ans. Malgré un temps croissant passé sur les écrans, les jeunes lisent toujours autant !

https://www.ipsos.com/fr-fr/malgre-un-temps-croissant-passe-sur-les-ecrans-les-jeunes-lisent-toujours-autant

2- Catherine Dessinges, Orélie Desfriches Doria. L’usage des écrans chez les 6-12 ans durant le 1er confinement mis en place face au Covid-19, 1er rapport final de l’étude Covid-Ecrans-En-Famille. LYON 3; PARIS 8. 2021. hal-04015896

3- Berthomier, N. & Octobre, S. (2019). Enfant et écrans de 0 à 2 ans à travers le suivi de cohorte Elfe. Culture études, 1, 1-32. https://doi.org/10.3917/cule.191.0001

4– Autisme lié aux écrans, la « fake news » !  https://informations.handicap.fr/a-autisme-ecrans-pelloux-fake-news-10537.php

5 – Cordier A., Erhel S. (2023) – Les enfants et les écrans, Retz éditeur

6 – Bernard J.Y., Charles M-A., Dufourg M-N., Heude B., Law E.C., Peyre H., Ramus F., Saïd M., Yang S. (aout 2023 ) – Associations of screen use with cognitive development in early childhood: the ELFE birth cohort – https://doi.org/10.1111/jcpp.13887

7Association Between Screen Time Exposure in Children at 1 Year of Age and Autism Spectrum Disorder at 3 Years of Age: The Japan Environment and Children’s Study | Media and Youth | JAMA Pediatrics | JAMA Network

8 thoughts on “Enfants, écrans…Catastrophe ou Fausse panique ? Que peut faire un professeur face à cela ?”

  1. Merci pour ce regard mesuré sur une question qui ne manque pas de turlupiner tous les éducateurs.
    Le risque sur la question est d’essentialiser un propos et de tirer le fil de relations de causes à effets sans trop réfléchir. Notre cerveau adore cela ! C’est le biais de confirmation. On va au plus simple, au plus évident, et on oublie de nuancer.
    Sur la question des écrans et de leurs usages prétendument néfastes on est satisfait de corréler :
    – Violence de la société
    – Individualisme
    – Baisse du niveau scolaire
    – Troubles de l’attention
    – Sur-consommation
    – …
    On n’a pas tout à fait tort, sans doute. Mais a-t-on totalement raison ?
    La récente étude citée dans l’article, nous amène à nuancer, à préciser. En cela elles très contre intuitive, tant nous sommes habitués à considérer binairement que écran = mal. Dans le même temps elle ne fait que rappeler ce que nous savons : abuser d’une chose a potentiellement des effets délétères, l’utiliser de façon équilibrée est une contribution, parmi d’autres, au développement de l’individu. Il en va des écrans comme de la nourriture, du sport, de la télévision… : point trop n’en faut. Ceci, convenons-en, relève de la plus pure des sagesses populaires. Nous n’avons pas besoin de sondages, d’émissions, de reportages pour le savoir.
    Mais ce que nous savons également, c’est que nous avons une propension à préférer le plaisir, le simple, à l’effort et au complexe… Savoir équilibrer notre relation au plaisir et à l’effort, au simple et au complexe est une des fonction de l’éducation.

    1. Merci pour ce partage . C’est, comme beaucoup de sujets, soumis à beaucoup de biais et en plus ce type de sujet complexe étant multifactoriel, cela multiplie les interprétations.

  2. Un bel article synthétique. J’ai regardé cette émission que j’ai aussi trouvé caricaturale même si elle enfonce quelques portes ouvertes. Plus que les écrans en tant que tels, c’est souvent l’absence d’interaction entre l’adulte et l’enfant qui me semble problématique. Pour être allé plusieurs fois dernièrement chez le pédiatre, le médecin ou l’hôpital, j’ai été effaré par les parents qui donnent un second téléphone à leur enfant pendant qu’ils utilisent le leur… Il y avait des livres dans chaque salle. Une bonne lecture d’histoire aurait sans doute été plus judicieuse…

    1. Tout à fait ! Mêmes phénomènes dans les transports en commun, aux sorties d’école…
      la « nounou » virtuelle dès que les enfants sont en poussette …pour certaines familles pas toutes heureusement !

  3. Merci pour la rédaction de cet article éclairant qui donne des pistes pour aborder le sujet avec les parents quand on est enseignant. Cette émission de télévision questionnait en effet .

    1. Merci pour ce retour. C’est un sujet qui a l’air simple (merci les médias pour la disparition de tout débat !) mais qui en fait soulève de nombreuses autres questions que je n’ai pas trop soulevées ici, pour rester lisible 😉

      1. Merci pour cet article nuancé.
        Une remarque : le jugement sur les jeux vidéos semble un peu dur et daté (addictif, abrutissant…).
        Comme pour les dessins animés, le choix de la qualité est important et doit être contrôlé par les parents.

        À partir de là, les jeux vidéos paraissent bien supérieurs aux écrans « passifs ». J’ai deux filles : les interactions devant un jeu vidéo coopératif n’ont absolument rien à voir avec celles devant un écran « passif ». Et le contrôle du temps est bien plus simple qu’avec un service de streaming, car on peut le paramétrer directement depuis une appli reliée à la console.

        1. Bonjour
          Vous avez raison sur les jeux vidéos. Je n’ai pas assez précisé mon propos. Je faisais allusion aux gammes de jeux smartphone très répétitifs, dont l’intérêt est limité. Je partage votre avis sur des jeux plus « riches » avec une histoire, des actions qui peuvent même faire l’objet d’un partage à plusieurs.

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