L’entretien professionnel

Cet article propose une réflexion sur l’entretien de formation ou d’accompagnement que mènent les formateurs (CPC, PEMF) et inspecteurs dans leur cadre professionnel. C‘est une mise à jour du dossier construit il y a quelques années dans le cadre des entretiens cafipemf ou accompagnement de formateurs débutants. Les sources de cet article sont développées infra.

En amont

Avant le premier entretien, il est nécessaire de construire une relation professionnelle basée sur la confiance. Un premier contact doit donc être pris pour que l’enseignant se sente moins angoissé, qu’il mette un visage sur un nom. Ce premier contact a plusieurs objectifs :

créer un climat de confiance,

faire connaissance : se présenter, expliquer sa mission professionnelle (les stagiaires par exemple n’ont pas une réelle connaissance du travail d’un IEN, d’un CPC ou d’un PEMF),

– expliquer le cadre de la relation professionnelle : but de l’entretien, objectif institutionnel (formatifs, évaluatif), cadre de l’entretien (dispositif dans lequel il s’inscrit),

préciser l’organisation : durée et lieu, documents attendus, voire demander ce que la personne souhaite qu’on regarde dans la séance,

répondre aux éventuelles premières questions (administratives, …)

On procèdera de préférence en allant rencontrer physiquement la personne. À défaut, on pourrait n’avoir qu’on contact téléphonique ou par mail.

La préparation de l’entretien

La durée

Un entretien trop court ne permettra pas un travail de formation efficace mais il faut s’avoir s’adapter aux contraintes matérielles et techniques. Même si ce n’est pas souhaitable, on peut parfois être contraint de mener un entretien pendant une récréation, sur une partie de la pause méridienne (pas la totalité par respect élémentaire envers la personne).

Il faut viser un entretien de 45 minutes à environ une heure pour mener un travail pertinent, avec un maximum d’une heure et demi. C’est le temps nécessaire pour s’inscrire dans une relation didactique professionnelle.

Organisation : la position spatiale

C’est un point important et trop souvent ignoré.

  • Pour un entretien à visée formative, d’accompagnement : on va privilégier le «  côte à côte », voire la table ronde si elle est disponible.
  • Pour un entretien formel : le « face à face » sera utilisé pour sa dimension symbolique :rapport de force, hiérarchie.

La façon de s’installer n’est pas un point négociable, donc il faut l’imposer à la personne qui souhaiterait s’installer autrement.

Quelques connaissances de base sur la construction d’un rapport à l’autre, la communication verbale et non-verbale (zone intime de communication) sont nécessaires pour diriger un entretien.

L’entretien

Un court temps d’introduction permet les salutations de base, l’installation des deux protagonistes, le règlement des questions administratives pour éviter de parasiter la suite de l’entretien.

On pourra ensuite distinguer 4 phases dans l’entretien:

1/ Temps d’analyse

On peut démarrer par une consigne du type :  » Je vous laisse un temps pour analyser votre pratique »  D’autres phrases de démarrage, utilisées habituellement comme  » Quel est votre ressenti ?  » ou « Faites-moi un bilan« , sont moins efficientes car orientent (ressenti = émotion, bilan = évaluation) et limitent la parole.

Ce temps peut durer de quelques minutes à une demi-heure (sauf si c’est manifestement une volonté d’occuper le temps pour esquiver la suite de l’entretien). Sur la première visite, le temps moyen va être court, voire très court, dépendant du temps d’observation (une ou plusieurs séances) et des capacités d’analyse de la personne (contractuel, stagiaire, professeur expérimenté ?). Ce temps doit évoluer sur les visites suivantes et on peut considérer que ce n’est pas normal que cela n’augmente pas.

On ne dit rien et on reste neutre pour ne pas parasiter. Pendant que la personne parle, on prend des notes sur sa capacité à analyser, capacité qui découle de trois compétences :

* savoir décrire : décrire l’activité du professeur et des élèves,

* savoir expliquer : identifier le problème professionnel auquel il/elle est confronté-e (gestion de classe, gestion didactique, gestion d’un élève particulier), construire des relations de causalité,…

* savoir remédier : apporter des réponses.

On peut se fendre de quelques « hum hum » ou « oui oui.. » pour encourager la personne à poursuivre. On n’aura pas peur de laisser des blancs, des silences : même sur un temps qui nous semble interminable (une minute). Cela relancera l’expression et, par expérience, souvent sur quelque chose d’encore plus intéressant.

2/ Temps d’échange

Une fois l’analyse réalisée, on va passer un contrat de communication avec la personne, qui doit accepter l’échange et la communication. Il faut prendre des indices sur son état d’esprit pour y remédier éventuellement (inquiétude, nervosité, agressivité, renfermement). Pour cette partie de l’entretien, on encourage la personne à prendre des notes… La situation de classe observée présente des points positifs et des points à améliorer/retravailler/approfondir. On évite la terminologie « points négatifs » qui peut être mal perçue (jugement de valeur). Notre objectif est d’avoir une situation de communication dynamique et interactive !

On va focaliser l’entretien sur 2 ou 3 points: il faut les hiérarchiser ! On ne peut pas (et il ne faut pas) tout dire. Il faut savoir faire des choix. Qu’est-ce qui est important pour ce professeur dans ce cadre d’entretien , à ce moment de l’année ?

Les axes/points à aborder :

Les axes à aborder sont dépendants de l’observation préalable et des outils utilisés par celui qui observe : observation à partir d’un modèle théorique (multi-agenda, invariants de Bourbao, etc), ou sur une entrée précise avec une grille (le climat de classe, la mise en œuvre d’une séance, la gestion de la parole, la didactique disciplinaire…). On pourra observer notamment :

– La relation enseignant-élèves, 

– L’attitude des élèves : motivation, engagement dans la tâche, comportement,…

– Le travail des élèves : leur acticité réelle par rapport à la commande

– Mais aussi : la gestion du temps, l’institutionnalisation des savoirs, la gestion des imprévus, la gestion du matériel, …

Les outils de préparation peuvent aussi être interrogés : quels sont les outils, les sources d’aide ou de documentation ?

Comment questionner ?

Le questionnement se fera à partir de questions ouvertes en suivant les principes suivants :

bannir le « est-ce que? » qui est une question fermée, sans intérêt et limitant la suite de la communication.

Pas de « pourquoi ? » : Plus la personne est en difficulté moins elle le supportera. Éviter les demandes de justification. Hors cas particulier, il ne s’agit pas d’un examen mais d’une action de formation.

Privilégier les questions en « comment ? »  Elles précisent en fait le procédural : on a alors globalement les réponses au « pourquoi ? ». On a accès aux savoirs d’expérience, aux « routines » : « Qu’est-ce que vous avez vu chez les élèves ?…Comment interprétez vous cela ? »

Pas de questions en rafale, ou du type « dans un premier temps…puis dans un deuxième temps… »: cela déstabilise, sature la réflexion et n’apporte rien (à part la volonté de vouloir jouer aux experts par l’interrogateur ?) .

Répéter (effet miroir), clarifier en utilisant des reformulations: si je comprends bien, vous pensez que…Donc…Comment…ou Vous m’avez dit que ….pourriez-vous préciser ce que vous entendez par….Cela permet d’approfondir un point.

Prendre soin d’écouter les réponses de la personne, ses argumentations, la qualité de son analyse, mais recentrer si besoin pour éviter les digressions.

Ne pas chercher à imposer ses idées, ses méthodes. L’objectif est de faire dire, plutôt que dire. Proposer des possibles, donner des exemples, trouver ensemble ou suggérer des remédiations adaptées à la personne. Apporter des éléments formatifs : ce qui marche, ce qui pose problème…Mais savoir se modérer: trop de conseils tue le conseil !

Se référer à la préparation et comparer le « prévu » et « l’exécuté ». Ce n’est pas parce que l’enseignant n’a pas suivi à la règle sa préparation que son cours est forcément à critiquer… Il doit cependant être capable de justifier les modifications ou l’improvisation.

Quid de la prescription ?

C’est une vraie question. Si on construit une relation basée sur la réflexion, le partage, l’évolution des pratiques, la prescription, hors obligation institutionnelle, n’a guère sa place. Toutefois, dans le cas par exemple des débutants (stagiaires, contractuels), on peut parfois être amené à prescrire. Cela peut rassurer, déculpabiliser, focaliser l’attention sur un point à la fois.

Toutefois, certaines choses doivent aussi être dites et parfois il ne sert à rien de prendre des chemins détournés. La posture professionnelle ne se discute pas et cela passe aussi, si nécessaire, par un rappel du cadre et des obligations « de base » comme la ponctualité, la présentation et la tenue, la qualité du langage utilisé, la sécurité des élèves,…

3/ Temps d’évaluation

Ce temps dépendra du type d’entretien, du statut du formateur, du cadre. Il s’appuiera sur un référentiel connu des deux protagonistes. Par exemple:

* Temps d’auto évaluation du stagiaire : « Où pensez-vous vous situer sur cette compétence ? »

* Co-évaluation du formateur : « je vous/te situerais plutôt là… »

* « Que faudrait-il que vous fassiez pour…? »

Pour réfléchir à la question du positionnement par rapport à une grille, voir le dossier de l’ESEN :

http://www.esen.education.fr/fr/ressources-par-theme/management-et-pilotage/communication-professionnelle/m-laguigne-en-entretien-de-positionnement/

4/ Temps de bilan du stagiaire

C’est un temps important, à ne pas bâcler. On pourra l’amorcer par : «Que retenez vous de ce que nous venons de dire ? « . S’en suit une synthèse du stagiaire (Auto évaluation du stagiaire). La conclusion est faite par le stagiaire. « Qu’avez-vous retenu? »

Comme l’entretien peut avoir déstabilisé la personne, qui peut en avoir un ressenti négatif,  il peut être nécessaire de restaurer l’image et l’estime de soi, donc faire un rappel des acquis, des points positifs, mais aussi un rappel que l’erreur fait partie du métier, que l’expérience se construit…

Points de vigilance quand on mène l’entretien

Celui ou celle qui mène l’entretien doit rester professionnel et vigilant sur les points suivants:

  • Ne pas oublier que l’entretien correspond à une situation de communication très particulière car déséquilibrée (les deux personnes ne sont pas au même niveau).
  • Mettre les formes pour ne pas donner l’impression d’agresser. Ne pas oublier que la personne en face n’est pas forcément prête à tout entendre. Ne pas laisser ses propres réactions émotionnelles atteindre la relation d’accompagnement.
  • Abuser de son autorité amène à la dévalorisation, perte d’estime de soi de la personne.
  • Ne pas confondre évaluation et jugement de valeur.
  • Etre prudent sur ses propres interprétations : il peut y avoir un décalage entre notre compréhension et la réalité.
  • Rester dans un cadre interactif d’échange, ce n’est pas un interrogatoire,
  • Avoir conscience du contexte : la personne qu’on est venue observer n’a pas forcément accès à tous les paramètres liés à la classe, peut subir des contraintes indépendantes de sa volonté.
  • Accepter la possibilité pour l’autre de refuser le contrat posé :  » Si vous en êtes d’accord nous allons parler de… « . On est alors dans un principe de communication.  S’il y a refus, on accepte le refus (tant qu’il n’est pas totalement bloquant).

Sources et pistes de réflexion

1/ Dans l’ouvrage « L’accompagnement professionnel des jeunes enseignants », les auteurs consacrent un chapitre entier à la question de l’entretien, avec des grilles d’observation, la conduite de l’entretien, les attitudes, le compte rendu de visite.

La lecture de ce chapitre (et de l’ouvrage) est vivement conseillée.

2/ Les extraits du « guide du formateur », ouvrage non paru encore, sont à lire en lien avec les problématiques soulevées ici :

http://docplayer.fr/10778168-Guide-du-formateur-premier-degre.html

3/ Le site « Néopass » propose un thème entier consacré au travail du formateur.

Plusieurs vidéos d’entretien proposent une réflexion autour de questionnements propres au formateur, comme :

« Comment faire pour conseiller efficacement l’enseignant novice à partir de sa propre façon de faire, sans pour autant la lui prescrire ? »

« La solution est intéressante mais la stagiaire va-t-elle l’accepter et parvenir à la mettre en œuvre ? » http://neo.ens-lyon.fr/neo/themes/theme-8

4/ Articles de référence

Bucheton D. (2019). Postures et gestes professionnels du conseil en entretien de formation – Conférence Académie de Dijon : vidéo conférence de D. Bucheton

Chaliès S., Cartaut S., Escalier G. Durand M. (2009) L’utilité du tutorat pour de jeunes enseignants. : la preuve par 20 ans d’expérience. Recherche et Formation, n° 61, 85-129.

Loizon D. (2010) Le conseil en formation. Regards pluriels. Dijon : CRDP.

+ article : https://journals.openedition.org/ejrieps/7819

Pana-Martin F. (2015). Les gestes professionnels des formateurs d’enseignants en situation d’accompagnement individualisée, Thèse (2015). https://theses.hal.science/tel-01416533/document

Paul M. (2004) Laccompagnement : une posture professionnelle spécifique, Paris, L’Harmattan.

Pelpel P. (2003) Accueillir, accompagner, former des enseignants. Guide de réflexion et d’action.  Lyon, Chronique Sociale. Vermersch P. (1994) Lentretien dexplicitation, Paris, ESF éditeur.

Wiel G. (1998) La démarche d’accompagnement, in G. Chappaz (sous la direction de), Accompagnement et Formation, Université de Provence, CRDP Marseille, 19-36.

Annexe :  Les 7 attitudes dans la relation à autrui

(d’après PORTER, cité par D. ANZIEU : La dynamique des groupes restreints – A. COLIN)

  1. La suggestion : indique ce qu’il aurait fallu faire

« A votre place, j’aurais fait comme ceci, ou comme cela… »

  • L’évaluation : porte un jugement de valeur (sur le cours et pas sur l’enseignant !)

« Je viens d’assister à un cours très intéressant… »

  • L’aide : fournit à l’autre des possibilités supplémentaires

« Je suis prêt à revoir votre programmation avec vous si vous le voulez… »

  • Le support : s’efforce de rassurer

« C’est normal, vous savez… en début de carrière… Après, ça va aller mieux… »

  • L’approfondissement : explore et recherche l’information

« Et quel était votre objectif prioritaire ?… »

  • L’interprétation : traduit les idées exprimées en explicitant ce qui ne l’a pas été. A pour effet d’amener à préciser ou à compléter

« Lorsque vous dites…, vous voulez dire que… ? »

  • L’écoute : réexprime le plus fidèlement possible ce qui a été dit par l’interlocuteur

« Si j’ai bien compris, la prochaine fois, vous allez… »

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