Question d’ambiance…

J’ai apprécié ce matin de lire la préface de Franck Ramus sur le livre « Visible Learning », document que j’ai découvert grâce à Twitter (vive la sérendipité numérique!). Je jette là à la volée mes réflexions…

Les recherches sont nombreuses pour trouver ce qui rend l’enseignement « efficace », non sans débats idéologiques tranchés (partisans des données probantes et leurs détracteurs). J’ai beaucoup lu à ce sujet, utilisé certains « résultats » dans ma propre pratique professionnelle ou d’auteur. Pourtant, je partage un point fondamental soulevé par Franck Ramus, que je cite : « les études expérimentales en éducation, aussi nombreuses soient elles, n’ont pas réponse à tout et ne couvrent pas toutes les pratiques et toutes les situations possibles. » Il y a effectivement de nombreuses situations qui ne sont pas étudiées par la recherche ou alors dans des contextes précis et limitants. Face à ces situations, Franck Ramus propose « d’utiliser son jugement sur la base de ses connaissances et de son expérience« . La suite de son développement est intéressante. J’ai alors repensé à un aspect du métier enseignant que j’ai souvent trouvé délaissé, ignoré quant à la réussite au sein des classes: celui de l’atmosphère ou pour être plus précis de l’ambiance. Je pars du postulat que l’ambiance de classe (que je définis à ma façon, cf. infra) a un impact sur la réussite des élèves, en particulier sur celle des élèves les plus en difficulté, en lien notamment avec les compétences psychosociales. Comment imaginer qu’un élève qui passe la plus grosse partie de sa journée à l’école puisse être engagé, créatif, gérer son stress et apprendre…s’il ne se sent pas bien dans la classe ?

En tant que conseiller pédagogique, puis inspecteur, j’ai eu à réaliser des centaines de visites en classe, parfois courtes (une trentaine de minutes), parfois de plusieurs heures. L’expérience grandissant, je me rendais compte de plus en plus vite de ce que j’allais pouvoir observer dans la classe, de ce qui m’attendait. Parfois, il ne me fallait pas plus de quelques minutes pour me dire : tu vas passer un bon moment ici, comme ces élèves, ou inversement : ça va être compliqué…À quoi cela pouvait tenir au-delà de ma propre présence et de mon statut ? Rapidement, j’ai assigné cette évaluation initiale à ma perception de l’ambiance de classe (perception évidemment subjective). Il existe de nombreux outils pour observer une classe, sous différents angles (les postures enseignant-élève avec le multi agenda de D. Bucheton; la gestion de la vie de classe avec les invariants de M. Bourbao, etc.). Mais je n’en avais pas de spécifique pour l’ambiance de classe.

Comment définir celle-ci ? Que mettre derrière ce concept au sens pédagogique du terme? Je n’ai pas lu particulièrement à ce sujet (ni cherché), j’ai donc construit ma propre représentation de ce qui fonde l’ambiance d’une classe:

  • le cadre matériel : comment est la classe ? Quel volume, quel espace pour les élèves, zones de circulation, zones de travail, etc ? La classe est-elle accueillante (couleurs des murs, aménagement..) ou froide (pièce quelconque, typique des constructions architecturales d’une certaine époque) ? Quelle exposition au soleil ? Une classe exposée majoritairement au nord offre-t-elle la même ambiance qu’une classe majoritairement exposée au sud, critère à réinterroger au regard de la localisation géographique de l’école (pour avoir travaillé à Martigues et au Havre, la différence est flagrante!), la classe est-elle « pauvre » (peu de matériel, peu de livres…) ou « riche » ? Si on étend à l’école: quelle cour de récréation (taille, verdure…), quid des toilettes, etc.
  • la posture de l’enseignant-e, son rapport aux élèves: ça se voit tout de suite. Les choses sont d’emblée visibles. Dans les interactions qui se jouent, on perçoit beaucoup de choses sur les représentations des uns et des autres, qui s’autorise quoi, comment chaque partie (enseignant-e / élèves) perçoit l’autre…Quelle dynamique de groupe ? Est-ce basé sur une relation de contrôle ou de confiance ? La vision relève -t-elle du postulat d’éducabilité ou est-elle plus pessimiste (voire fataliste) ? Quel rapport au savoir ? etc.
  • L’état psychologique de l’enseignant-e le jour J: je distingue cela de la posture. Il s’agit bien de comment est la personne ce jour-là et pas un autre. Trop souvent, la recherche, l’institution raisonnent sur des situations modélisées avec un enseignant « type » (exécutant et répondant aux attendus). Or, un enseignant est avant tout un individu avec sa personnalité, son vécu, ses valeurs et sa représentation du monde. Et même le plus professionnel des professionnels est soumis à ce qu’il est intrinsèquement. Il y a une forme de synchronisation entre adultes et enfants : si je suis énervé, ils le deviendront… Et je suis persuadé, pour l’avoir vécu de nombreuses fois, qu’il se joue là quelque chose pour la classe, dans son ambiance et , in fine, dans la réussite de l’année scolaire vécu par les élèves.

Développons ce dernier point : Quelqu’un qui « n’est pas bien » du fait d’une situation personnelle, d’un simple « mauvais jour » est -il 100% disponible pour la classe, qui est très exigeante pour l’enseignant ? D’abord, pour éviter tout quiproquo, je pense que c’est normal : ça fait partie des aléas de la vie et il me semblerait inepte de le reprocher. Ce qu’on pourrait reprocher c’est la gestion qui en est faite (si on en est conscient).

Une anecdote me revient que je retranscris telle que je m’en souviens: de passage dans une école, je profite de la récréation pour aller saluer les collègues de service. Quelques échanges informels s’engagent, avec toujours une distance certaine (les discussions avec l’IEN ne sont pas toujours naturelles…). Je vois qu’une collègue est plus renfrognée que ce que j’ai pu voir d’elle par le passé. Il ne lui faut pas longtemps pour qu’elle s’exprime sur son mal-être : ce matin-là, les élèves sont insupportables, très bruyants et elle n’a pas avancé comme elle le voulait. Au-delà du fait que ce sont des cycles 2, ce n’est pas ce qui se passe d’habitude. Je lui demande alors comment, elle, elle se sent. Elle explique que de toute façon la journée avait mal commencé. Elle avait quelques soucis personnels…la photocopieuse n’avait pas fonctionné à son arrivée et elle n’avait pas eu le temps de se poser du fait -qu’en plus- elle était de service de récréation. Je lui proposais d’aller profiter de la fin de récréation en salle des maitres pendant que je prenais la fin de son service. Bien que surprise, elle ne se le fit pas dire deux fois…Plus tard, j’accompagnais son rang et lui partageai ma conception des choses: parfois, la journée sera difficile car on n’est pas disponible, on n’est pas à 100% physiquement ou psychologiquement. Les élèves le sentent et nous font alors vivre un enfer. Ce n’est pas de leur faute mais plutôt de la nôtre. Ce qu’il faut faire alors c’est d’accepter qu’on n’est pas à 100% disponible et déculpabiliser. Aménager sa journée: changer l’ordre des activités, prendre plus de temps… pour se sentir soi-même mieux car de toute façon, si on ne fait rien, les choses ne se passeront pas comme voulu et en fin de journée, on sera énervé, fatigué et dans l’appréhension du lendemain…Cette (longue) anecdote me semble bien retranscrire l’idée que j’avais en tête : un enseignant n’est pas un robot. C ‘est un être humain avec ses forces et ses failles qui exerce un métier de l’humain, particulièrement difficile et exigeant, qui ne laisse pas souvent le temps de souffler.

Alors que tirer de ces réflexions si on devait en tirer quelque chose ? Si on accepte le postulat que l’ambiance de classe (telle que je l’ai définie précédemment) a un rôle sur la réussite des élèves, alors il faut s’en occuper en formation initiale et continue mais aussi avec les partenaires (par exemple les communes pour agir sur le volet « matériel »). Cela signifie en particulier d’accompagner sur le volet psychologique et sur les questions relative au bien-être. Comment ? Au-delà des questions matérielles et humaines (il faut plus de psychologues, plus de médecin, etc.), il y a des choses « simples » qui peuvent être mises en œuvre par les collègues eux-mêmes, les directeurs-trices, les conseillers pédagogiques et inspecteurs…J’ai pu voir dans de nombreuses écoles ces actions se faire implicitement, simplement et avec intelligence: le directeur qui prend la récréation du collègue pour qu’il souffle, la collègue qui amène un café à la directrice, les collègues qui savent changer les idées des autres avec quelques calembours, ceux qui emmènent tout le monde avec des projets fous… Pour aller plus loin et étendre cela partout, il faut peut être poser les choses, y réfléchir, reconnaitre ces gestes comme de véritables gestes professionnels au service de tous. Aux CPC et IEN charge d’accompagner, d’offrir une écoute active réelle, de déculpabiliser, de proposer des tiers-temps autres pour échanger (café des directeurs, temps de rencontres informels, etc.). Et vous, vous en pensez quoi ?

2 thoughts on “Question d’ambiance…”

  1. Je pense que vous avez raison, e sont les petites attentions aux autres, les sourires, le bonheur d’être ensemble qui font toute l’ambiance d’une école et d’une salle de classe.
    Mention spéciale à l’inspecteur qui a pris le service de l’enseignante pour la soulager. J’ai vu la même facilité à « être avec » chez en CPC en costume venue me visiter pendant un stage en maternelle qui s’était mis à genoux pour chausser les petites sections avec moi. 17 ans plus tard, ce geste me réchauffe encore.

    1. Merci pour votre témoignage ! Et avec le « sourire » vous avez raison (ça me rappelle l’école où on avait mis en place un projet « sourire » 😉

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